Cette simplicite induit une emotion nourrie du depouillement des etres devant l’absurde, la aussi emotion que l’on ressent en parcourant d’une poesie sauf qu’ici ce n’est aucune la poesie.
« Jour » : une soudaine lumiere en un seul mot tel 1 choc pour le lecteur qui se laisse mettre. On entre alors dans nouvelle chose. Meme si l’histoire parait banale – mais Il semble vrai qu’on avance sans vraiment comprendre dans un mystere et un monde nouveaux – Duras menage presque a chaque page des surprises avec ses flashes inattendus. Mais elle en dit plus qu’elle n’en a l’air. D’une femme « pale » chaque lecteur degage ce qu’il sent : la maladie, la solitude qui ne semblent gui?re dites, tel s’il y avait absence de vie interieure. Les yeux « s’ouvrent douloureusement », plus loin le geste d’la femme reste « d’une tendresse desesperee ». Mais que valent ces hypallages par rapport a une poetique qui est ici celle du corps ? Mes mots « crient », « devorent », « sang », continuent a faire choc tel le commentaire « enfant » qui contrastent inhabituellement avec « bonheur ».
Paradoxalement, si elle ne comporte aucune trace de lyrisme, l’ecriture durassienne reste porteuse d’une emotion qui Notre rend proche d’une poesie.
L’ecrivaine peint avec touches juxtaposees sans adjectifs, sans nuances donc. Elle filme partout ou porte le regard, contemporaine avec un art qui, chez elle, se depouille, ne tient via rien, a J’ai limite d’un silence qui fait i nouveau miraculeusement musique. Le regard-camera opere page apres page des travellings que nous suivons avec l’obeissance du lecteur qui cherche son emotion en voulant encore comprendre.
« Apres Duras, Cela reste ardu d’exprimer un anonyme silence car elle l’a fait sans cesser de nous nourrir. Nous sommes nourris, par exemple, dans L’Amour avec ce cri qui nous a deja marques dans Moderato Cantabile » (1).
Duras et l’absence
A la fin du livre l’absence envahit contradictoirement le texte car i§a concerne bien et tous. La nature a disparu, des parcs aussi, la mer « s’eloigne ». Il ne est plus que le vent « violent » et le soleil mais celui-ci fait dormir et c’est une autre forme d’absence i nouveau. Apres qu’ils se seront arretes de marcher, de bouger, environ mouvement encore Afin de les personnages pris via le sommeil, necessite annoncee, des le debut du livre ou il s’agissait deja de dormir ou de mourir. Environ clefs Afin de la salle ou le bal n’a plus lieu. L’absence regne aussi avec nos interdits puisqu’« on n’a pas le droit d’ouvrir ». Elle devient s?ur de l’oubli si on lit la phrase-clef prononcee via le voyageur « Je ne sais plus rien » qui rappelle la voix de Rimbaud dans « Matin » criant : « Je ne sais plus parler ».
L’absence envahit jusqu’a l’ecriture ou se repetent sans cesse les locutions negatives. Ainsi le present n’apporte-t-il aucune compensation a toutes les objets et souvenirs disparus. Seul revient le mouvement puisque regard il y a toujours, exactement tel la fonction cree l’organe, un mouvement qui suit la marche, les marees, la lumiere. Bon nombre de autres sens sont actifs car on entend les sirenes, on voit du rouge. Cela demeure ainsi un sursaut de vie avant la catastrophe. Comme quand on sortait du rien, du neant avant la decoloration finale, celle d’la mer et du ciel, qui nous fera revenir aux premieres pages de l’histoire ou la teinte avait deja disparu.
Si les paroles ont ete porteuses de silence, le silence, a lui tout seul, a porte le sens, celui de la fond metaphorisee par cette absence nommee par touches successives. « Comme si on etait en presence du bricolage d’une photographe aux prises avec l’essor de sa pellicule et prisonniere de sa chambre noire » (2).
France Burghelle Rey
(1) Citation de Claude Roy a propos de Moderato Cantabile : « Madame Bovary reecrite par Bela Bartok »
(2) ?uvre au clair, 104 et le Nouveau roman : Une ecole du regard, 111